Par Julia Itel – Publié le 24/04/2023

Proclamé en 2022 « docteur de l’unité » par le pape François, Irénée de Lyon est le premier théologien de l’Église. Son œuvre littéraire témoigne de sa volonté de lutter contre les hérésies et la division au sein du christianisme primitif. 

Qui est Irénée de Lyon ?

Saint Irénée de Lyon

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Peu de choses sont connues de la vie d’Irénée. Il serait né entre 140 et 160, probablement à Smyrne, en Asie Mineure (dans l’actuelle Turquie). Irénée, du grec eirênê qui signifie « homme de paix », est formé par Polycarpe, évêque de Smyrne et disciple de l’apôtre Jean. 

Irénée, à qui Polycarpe a pris soin de transmettre la tradition johannique, part comme missionnaire en Gaule, en passant par Rome. Les temps sont alors difficiles et il échappe de justesse aux persécutions qui sévissent contre les chrétiens. Il relate le martyre des chrétiens de Lyon dans sa lettre « aux frères d’Asie et de Phrygie ». En 177, il succède à Pothin en tant qu’évêque de Lyon, mort en prison.


Le premier théologien de l’Église

Irénée de Lyon est considéré comme le premier grand théologien de l’Église et fait partie de la tradition patristique anténicéenne (tous les Pères de l’Église ayant vécu avant le concile de Nicée). 

Contrairement aux apologètes qui sont des philosophes convertis au christianisme et qui défendent la foi chrétienne à partir de la raison, les propos d’Irénée prennent toujours leurs sources dans les Écritures. Selon lui, un argumentaire basé sur un système philosophique et rationnel peut mener à l’hérésie, ce qu’il condamne. Seule la révélation divine permet de comprendre la foi.

La théologie d’Irénée est riche et déterminante pour la construction doctrinale de l’Église primitive. Ses deux ouvrages majeurs, Contre les hérésies et Démonstration de la prédication apostolique, ont irrigué les réflexions des premiers conciles. Mais à partir du IVe siècle, l’apport d’Irénée tombe presque dans l’oubli. Il faut attendre 1526 pour qu’Érasme le réhabilite par la publication d’une première édition de Contre les hérésies, puis le XXe siècle pour qu’il soit définitivement reconnu comme l’un des plus grands auteurs du christianisme


Contre les hérésies

Combattre « la gnose au nom menteur »

Contre les hérésies, ou Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, est un traité écrit en grec ancien autour de 185 et composé de cinq volumes dont l’objet est de réfuter les doctrines des différents groupes gnostiques contemporains d’Irénée. En effet, au IIe siècle, de nombreux courants gnostiques se répandent, dont celui de l’Égyptien Valentin, déclaré hérétique, et de son successeur Marcion. 

Dans son traité, Irénée présente méthodiquement chacun de ces courants pour mieux les critiquer (non sans humour) et ainsi condamner ce qu’il considère être la « fausse gnose ». La gnose, qui signifie en grec « connaissance », représente un ensemble de courants philosophiques dualistes basés sur le docétisme et donc tendant à nier la réalité de l’Incarnation, soit l’humanité du Christ. Pour les gnostiques, il n’existe pas de connexion entre l’Ancien et le Nouveau Testaments : le Dieu chrétien n’est pas le même que Celui des Hébreux. De plus, pour certains d’entre eux, la création résulte d’un accident malheureux voulu non par Dieu mais par le Démiurge, un dieu mauvais. Dès lors, les êtres humains sont prisonniers du monde matériel et leur âme, par essence divine, est l’otage de la chair. Le Christ a ainsi été envoyé pour sauver l’humanité en apportant avec lui une connaissance secrète (la gnose), permettant à quelques initiés seulement d’accéder au salut. 

C'est principalement à ces deux allégations qu’Irénée répond.


La règle de foi, ou l’unité de l’Église

À l’idée d’une connaissance secrète réservée à une élite, Irénée répond par le principe de la tradition apostolique : si Jésus avait effectivement amené avec lui une connaissance secrète, il l’aurait enseignée aux apôtres qui l’auraient ensuite transmise à leurs disciples et donc à Irénée, puisqu’il est l’élève de Polycarpe. Or, ce n’est pas le cas. 

Irénée défend ainsi l’idée que la Tradition de l’Église est fondée sur une règle de foi, soit « la foi que l’Église universelle a reçu des apôtres et de leurs disciples » (Contre les hérésies I, 1). La connaissance, donc la foi, n’est pas réservée à quelques-uns seulement. Elle est reçue puis transmise au sein de la lignée des évêques, considérés comme des pasteurs et des évangélisateurs de l’Église. 

Selon Irénée, une tradition n’est authentique et légitime que parce qu’elle provient des apôtres qui ont reçu directement de Jésus ses enseignements. Et c'est pour cette raison que l’Église de Rome est supérieure à toutes les autres, notamment car « son origine [est] plus excellente » (elle a été fondée par les apôtres Pierre et Paul) et qu’elle a su garder précieusement « la Tradition qui vient des apôtres », comme en témoigne la liste ininterrompue de leurs successeurs que dresse Irénée. 


La continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testaments, ou l’unité de Dieu

Si pour les gnostiques, le Dieu hébraïque n’est pas le même que le Dieu chrétien, Irénée s’empresse de démontrer, qu’au contraire, il n’existe pas de discontinuité entre l’Ancien et le Nouveau Testaments. De plus, contrairement aux hérésiarques dont la pensée repose davantage sur la philosophie, le théologien affirme l’autorité absolue des Écritures pour différencier la vraie gnose de celle « au nom menteur ».

D’abord, il revient sur la notion de création qui, dans la Genèse, est considérée comme l’œuvre de Dieu. En effet, Dieu crée le monde à partir du chaos originel et en fait quelque chose de bon (Gn I, 12) pour ses créatures. De plus, Dieu crée l’homme « à son image » (Gn I, 27). La création n’est donc pas un événement accidentel voulu par un dieu mauvais mais bien l’œuvre bénéfique d’un Créateur unique : Dieu (Contre les hérésies II, 1). 

Ensuite, Irénée démontre que la venue du Christ est prévue dès les origines en établissant un premier parallèle entre Adam, le premier homme né de la terre vierge, et Jésus, deuxième Adam né d’une Vierge, et un deuxième entre Ève, qui a désobéi à Dieu et a engendré le mal, et Marie, dédiée à Dieu et ayant mis Jésus Christ au monde. Selon le théologien, l’Ancien Testament prépare les hommes à la venue du Christ par le biais des nombreuses prophéties et théophanies qui parcourent la Bible. Les deux Testaments sont ainsi réunis en une seule révélation : la venue du Sauveur.


Démonstration de la prédication apostolique

L’autre ouvrage fondamental d’Irénée de Lyon est écrit quelques années après Contre les hérésies. Destinée à un certain Marcianus, Démonstration de la prédication apostolique prend la forme d’une lettre publique et représente la première catéchèse de l’Église et résume à elle seule les fondements doctrinaux orthodoxes des tous premiers temps du christianisme. 


La vraie gnose, ou l’économie du salut

Un des apports fondamentaux d’Irénée de Lyon est ce qu’il nomme « l’économie du salut », c'est-à-dire le dessein divin révélé à travers l’histoire du salut et qui s’est accompli lorsque Dieu s’est fait homme en la figure de Jésus Christ.

L’expression employée par Irénée actualise le terme grec oikonomia (« la gestion de la maisonnée ») dans un jargon théologique pour signifier la manière choisie par Dieu pour gérer le monde. Dans la compréhension irénéenne, le salut proposé par Dieu à l’homme est résumé dans le modèle qu’incarne le Christ : l’être humain est invité à passer du premier Adam, considéré encore comme un enfant qui n’a pas fait l’apprentissage de ses responsabilités et de son rôle au sein de la création, au deuxième Adam, plus mature et prêt à recevoir la révélation de Dieu. 

Comprendre ce qu’est le salut avec Les tablettes de la foi

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La célèbre citation d’Irénée résume l’économie du salut : « La gloire de Dieu, c'est l’homme vivant et la vie de l’homme, c'est la vision de Dieu ». Le théologien a une vision particulièrement optimiste de l’humanité qu’il considère traversée par un processus personnel et collectif de croissance. L’homme est, en effet, appelé à devenir un fils de Dieu – à l’image du Christ – et à communier avec Lui. Mais Dieu est conscient de la lenteur que peut prendre la voie du salut : il est patient et prépare progressivement l’homme à la révélation. Ce n’est que lorsqu’il le sent mûr qu’il envoie son Fils rencontrer les hommes, à travers l’Incarnation. 


La doctrine de la Trinité

Irénée est le premier auteur à affirmer que Dieu le Père et Jésus le Fils sont tous les deux d’essence divine. Toutefois, il établit une distinction entre les deux, ce qui permet de mieux comprendre la nécessité de l’Incarnation. D’un côté, Dieu est transcendant et ne peut donc être approché directement par l’homme. Pour se révéler et donc réaliser son plan, il a besoin du Fils qui peut apparaître dans le temps et l’espace (comme dans les théophanies ou le mystère de l’Incarnation) et dont la divinité se révèle aux hommes par l’Esprit Saint

Dès lors, le salut prend sa source et s’accomplit dans la Trinité : il est possible d’approcher et de communier avec Dieu à travers son Fils qui s’est incarné et qui a permis aux hommes de prendre connaissance du plan du Père notamment par le don de l’Esprit Saint aux apôtres à la Pentecôte


Le concept de récapitulation

Pour son salut, l’homme est ainsi appelé à communier avec Dieu. Le salut est donc aussi, d’après Irénée, une divinisation de l’homme. Une notion clé de la théologie irénéenne est celle de « récapitulation », qu’il emprunte à Paul : l’histoire du salut, telle que souhaitée et conçue par Dieu, culmine et s’achève avec l’Incarnation du Christ qui récapitule l’histoire de l’humanité, depuis Adam jusqu'à la fin des temps. 

En s’incarnant, le Christ fait naître avec lui une nouvelle humanité, prête à partager la vie divine et à devenir enfin enfant de Dieu. L’homme est donc « récapitulé dans le Christ » ; il s’accomplit dans et à travers lui. 

Qu’est-ce la Trinité ? Réponse ici

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