Par Julia Itel – Publié le 27 octobre 2022

Monastique, prêtre, résistant, député puis engagé pour l’éradication de la pauvreté en France et dans le monde, l’abbé Pierre est une figure chrétienne incontournable du XXe siècle. Qui est-il ? Quels sont les grands moments marquants de sa vie ?

L’abbé Pierre, né Henry Grouès

Henry Grouès naît le 5 août 1912 à Lyon dans une famille bourgeoise de huit enfants. Ses parents sont de fervents catholiques et, bien que transmettant une éducation traditionnelle reposant sur une certaine distance émotionnelle, ils inculquent à leurs enfants les valeurs de solidarité, d’entraide et de partage.

Son père, Antoine Grouès, d’abord administrateur à l’Alliance textile de Lyon puis nommé directeur des Fonderies du Rhône, est également engagé dans de nombreuses associations dédiées à l’amélioration du cadre de vie d’enfants défavorisés (comme les sourds-muets de la Croix-Rousse). Lorsqu’Henry est âgé de 12 ans, son père l’amène quai Rambaud où, comme tous les dimanches, il devient le temps d’une journée barbier pour les pauvres et les sans-abris. Cela marque profondément le jeune Henry qui poursuivra cette vocation familiale plus tard.


La vie religieuse

L’appel d’Assise

Adolescent, il rentre chez les scouts et étudie chez les jésuites. Aux vacances de Pâques 1927, Henry part avec un groupe d’élèves faire un pèlerinage à Rome. Au retour, ils s’arrêtent à Assise. Découvrant la ville et la personne de saint François, l’adolescent sent poindre en lui un désir, confirmé un an plus tard après la lecture de la vie du saint : il se fera pauvre et trouvera l’amour de Dieu en lui-même. 
 

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Mystique d'abord - L'abbé Pierre


Chez les capucins

Henry décide alors d’entrer au monastère et choisit l’ordre des capucins, une branche qui s’inscrit dans l’ordre franciscain et qui est connu pour sa dureté. Mais le jeune homme vient intentionnellement chercher le dépouillement et la solitude, ainsi que la chasteté, lui permettant de trouver en lui la lumière.

Le 21 novembre 1931, il entre au noviciat et prend le nom de frère Philippe. Le couvent de Crest, situé dans la Drôme et dirigé par le père Ange, représente un environnement austère. Ici, la pratique ascétique s’acquiert par des privations diverses et par les mortifications. 

Henry a bien du mal à accepter la rigidité de ces années ; il cherche d’ailleurs à s’extraire du couvent plus tôt que prévu. L’ancien scout, l’homme d’action, s’impatiente. Ce qu’il souhaite, c'est agir pour et auprès des pauvres. Une fois prononcés ses vœux et ordonné prêtre, il obtient l’autorisation en 1939 de quitter la vie monastique. Il est ensuite accueilli par l’évêque de Grenoble comme vicaire de la basilique Saint-Joseph. 


L’abbé Pierre, le résistant

1939, la guerre éclate. Le jeune prêtre est mobilisé comme sous-officier en Maurienne et en Alsace, puis comme aumônier à l’hôpital et comme vicaire à la cathédrale de Grenoble. En juillet 1942, il cache dans sa petite chambre un ingénieur juif l’ayant supplié de l’aider. C'est le début de l’engagement dans la Résistance. D’autres Juifs resteront cachés chez lui, place Lavalette ; il leur procurera des faux papiers et les fera passer en Suisse et en Espagne.  

Début 1943, alors que de jeunes gens sont convoqués pour le Service du travail obligatoire (STO) en Allemagne, Henry participe à l’organisation du maquis du Vercors pour accueillir les réfractaires. Il s’investit également dans des comités de secours en ville, écrit pour L’Union patriotique indépendante, un bulletin secret qu’il édite. La même année, il rencontre Lucie Coutaz, une ancienne miraculée de Lourdes et aussi résistante, qui co-fondera Emmaüs avec lui.

 Alors qu’il est recherché par la Gestapo et la milice, le prêtre doit changer souvent de lieu et de nom. Il prendra, par exemple, les pseudonymes de l’abbé Pierre, de l’abbé Georges Houdin, d’Henry Barlow… Après 23 mois de clandestinité, De Gaulle le fait venir à Alger comme aumônier dans la Marine. 


L’abbé Pierre, le député

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, celui qui se fait désormais appeler par son nom de résistant rentre en France, épuisé. Il est décoré de nombreuses médailles pour ses actes de bravoure, comme la Croix de guerre, la Légion d’honneur, etc. 


Le député des petites gens

Alors que les élections législatives d’octobre 1945 approchent – il faut donner à la France une nouvelle Constitution – l’abbé Pierre est invité par l’entourage de De Gaulle et par le Mouvement républicain populaire (MRP) à se présenter. Constatant la pauvreté régnante, l’abbé trouve dans la politique l’occasion de s’impliquer pour la charité et la fraternité, valeurs qui lui tiennent tant à cœur. Lucie Coutaz devient sa secrétaire ; l’abbé Pierre est élu député en Meurthe-et-Moselle pour trois mandats (de 1946 à 1951). À Nancy, au sein de sa permanence, il écoute et reçoit les petites gens, les démunis, les malades et sans-logis. Devenu un homme public, l’abbé parle au nom de ceux qui vivent sur les ruines de la guerre et juge l’Assemblée nationale trop éloignée des réalités qui habitent la France.


Engagement pour le fédéralisme

En 1947, l’abbé Pierre rêve d’une Europe unie et fraternelle. C'est donc naturellement qu’il s’engage pour le fédéralisme et fonde le groupe parlementaire fédéraliste français. Il participe également à la fondation du Mouvement universel pour une Confédération mondiale et en devient le vice-président. Enfin, il soutient un temps Gary Davis, le fondateur de Citoyens du monde. 

Pas réélu aux élections de 1951, il quitte la politique et le MRP.


La fondation d’Emmaüs

Neuilly-Plaisance

La même année qu’il fonde le groupe parlementaire fédéraliste, l’abbé député s’installe dans une maison à Neuilly-Plaisance, restée en très mauvais état après la fin du conflit. Il souhaite la retaper et, ne disposant pas d’une grosse somme, la meuble en allant au marché aux puces de Saint-Ouen. Rapidement, la maison devient le lieu de réunion de plusieurs associations, comme la Mission de Paris ou la Jeunesse étudiante catholique, et sera bientôt convertie en auberge internationale de jeunesse


Une auberge appelée Emmaüs

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En novembre 1949, un ancien bagnard du nom de Georges Legay tente de se suicider car, ne trouvant pas de travail à cause de son ancien statut, il trouve ses perspectives trop amoindries et se sent isolé. Alerté, l’abbé Pierre va à son chevet et l’invite à venir chez lui, l’aider à retaper sa maison : « Si tu veux m’aider à aider ? Ensemble, on fera de belles choses. ». Georges Legay devient ainsi le premier compagnon d’Emmaüs.

Quelques mois plus tard, l’auberge devient le siège officiel de l’association à but non lucratif, Emmaüs. L’abbé dit avoir choisi ce nom en souvenir du groupe des « guides aînées » à Grenoble pendant la guerre ainsi qu’au lieu où deux disciples du Christ l’ont retrouvé.

L’auberge accueille des familles expulsées de leur logement. Mais rapidement, leur nombre augmente de manière considérable. L’abbé ayant perdu ses indemnités parlementaires, il achète avec le peu d’argent dont il dispose des terrains pour construire des abris de fortune. L’action est toutefois illégale et l’administration ne tarde pas à s’en mêler ; elle exige des permis de construire valides, ce à quoi l’abbé, indigné, répond qu’il fournit à ces gens des « permis de vivre ».


Les chiffonniers d’Emmaüs

Pour pallier le manque d’argent, l’abbé Pierre mendie et invite ses compagnons à faire les poubelles, ce qui provoque la jalousie des éboueurs. Un accord est vite trouvé avec ces derniers : la communauté d’Emmaüs se tourne vers la chine. Allant de porte à porte, ses membres collectent les vieux objets, vêtements et meubles dont on ne veut plus pour les vendre ensuite et redistribuer l’argent auprès des miséreux. 

Pour le service de collecte rendu, les membres d’Emmaüs perçoivent une allocation de 100 francs par jour, sont logés, nourris et vêtus. Cette vie pauvre mais décente qui leur est offerte attire de plus en plus d’individus dans le besoin. La communauté s’agrandit, les besoins financiers avec. 


Quitte ou double

Au début des années 1950, la communauté d’Emmaüs commence à se faire connaître. Une voisine journaliste publie un article sur l’action de l’abbé Pierre et de ses chiffonniers dans La Vie catholique et le livre Chiffonniers d’Emmaüs, de Boris Simon-Gontcharov, remporte un certain succès de librairie. Mais c'est surtout la participation de l’abbé au jeu « Quitte ou double » sur Radio Luxembourg (future RTL) en 1952 qui propulse Emmaüs sur le devant de la scène. Le jeu lui rapporte 256 000 francs et, indirectement, le prêt de 15 millions de francs accordé par le directeur de la Caisse d’épargne de Paris (pour acquérir un terrain) ainsi que des prêts accordés par la CAF afin de construire 29 logements en dur (la Cité de la Pépinière). 


L’appel de 1954

L’hiver 1954 est particulièrement froid et rude. Des milliers de personnes vivent dans la rue. Début janvier, un bébé meurt de froid dans un bus. C'en est trop ! Témoin de la misère qui règne dans les rues de Paris à travers les maraudes qu’il organise avec ses compagnons, l’abbé Pierre se rend bien compte que leur action ne suffit plus. 

Il retourne chez Radio Luxembourg pour lancer la campagne des « billets de 100 francs ». Son appel soulève un élan de solidarité populaire que l’abbé appellera « l’insurrection de la bonté » : les dons et bénévoles affluent (plus de 500 millions de francs sont récoltés), le gouvernement débloque un budget de 10 milliards pour la construction de 12 000 logements d’urgence et vote une loi interdisant l’expulsion pendant la période hivernale.
[Vidéo https://www.lejourduseigneur.com/videos/labbe-pierre-figure-de-la-charite-1883] 

Emmaüs se développe alors à grands pas. En mars 1954, l’abbé fonde l’association Emmaüs afin de regrouper les différents services et communautés d’Emmaüs. Il crée également la revue Faim et Soif, permettant de sensibiliser et de soutenir les sans-abris. 


Emmaüs à l’international

Animé par un profond désir de justice sociale, l’abbé Pierre se rend bien compte que son action dépasse le seul cadre de la France. L’appel de 1954 a été fort retentissant et le prophète des pauvres et des sans-logis se trouve bientôt appelé par les représentants politiques et religieux de nombreux pays du monde à venir présenter son combat contre la misère.

À partir de 1955 et pendant les années qui suivent, il voyage partout. D’abord en Amérique du Nord, où il rencontre le président Eisenhower, puis au Maroc où il est reçu par le roi Mohamed V, en Europe, en Inde où il rencontre Gandhi, Nehru et Mère Teresa, en Amérique latine, au Liban, en Afrique, en Asie… Après son passage, de nombreuses organisations Emmaüs se créent. Le réseau s’étend, se mondialise.

En 1963, l’abbé Pierre survit à un naufrage en Argentine. Il devient alors conscient de porter seul la responsabilité de lier tous ces différents groupes entre eux et que, s’il devait disparaître, la communauté le suivrait certainement. Pour assurer la pérennité d’Emmaüs, il crée alors la fondation Emmaüs International en 1971 qui sert d’organe de liaison entre tous les groupes, tout en leur assurant une autonomie adaptée aux réalités locales. En 1988, il crée également la Fondation Abbé-Pierre, reconnue d’utilité publique en 1992, et qui lutte pour le logement et contre l’exclusion des personnes démunies.


Mort de l’abbé Pierre

L’abbé Pierre a souffert d’une santé fragile tout au long de sa vie. Il s’éteint à l’âge de 94 ans, le 22 janvier 2007, des suites d’une infection pulmonaire, à l’hôpital parisien du Val-de-Grâce. Ses obsèques se déroulent quelques jours plus tard à la cathédrale Notre-Dame. Il repose au village d’Esteville, en Seine-Maritime. 

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