Par Julia Itel - Publié le 09/12/2022
Abbesse, mystique, femme de lettres, d’art et de pouvoir, médecin, Docteure de l’Église, sainte Hildegarde de Bingen (1098-1179) a fait rayonner en son temps la chrétienté. Redécouverte à partir des années 1980, elle ne cesse de surprendre par la richesse de son œuvre.
Qui est Hildegarde de Bingen ?
Abbesse de Disibodenberg
Hildegarde de Bingen est née en 1098 à Bemersheim, près d’Alzey, en Rhénanie (Allemagne). Elle est la dixième et dernière enfant d’une famille issue de la petite bourgeoisie locale.
À 8 ans, elle est confiée comme oblate à Jutta de Sponheim qui dirige le monastère bénédictin de Disibodenberg. Celle-ci lui donne une formation intellectuelle, artistique et spirituelle complète. Hildegarde prend l’habit à l’âge de 16 ans et, à la mort de Jutta en 1136, elle est élue abbesse de Disibodenberg. Elle a alors 38 ans.
Sainte Hildegarde de Bingen
Pour voir cette vidéo pour devez activer Javascript et éventuellement utiliser un navigateur web qui supporte la balise video HTML5
Fondation de l’abbaye de Rupertsberg
En 1149, une vision lui indique qu’elle doit quitter Disibodenberg pour fonder un monastère à Rupertsberg, près de Bingen. Ce dernier n’est reconnu officiellement qu’en 1158. Néanmoins, le rayonnement de sa communauté est tel qu’elle doit bientôt ouvrir un autre couvent à Eibingen, de l’autre côté du Rhin. En effet, le monastère est connu pour la qualité et l’harmonie qui y règnent entre les sœurs.
Hildegarde de Bingen : une œuvre visionnaire
Des visions depuis l’enfance
Depuis l’âge de 3 ans, Hildegarde de Bingen a des visions mystiques. Elle écrit : « Dans la troisième année de mon âge, j'ai vu une telle lumière que mon âme en a été ébranlée, mais à cause de mon enfance, je n'ai rien pu en dire. » Celles-ci la terrassent souvent et la contraignent à les garder longtemps cachées.
Toutefois, lorsqu’elle a 42 ans et sept mois, elle entend une voix lui demander de consigner par écrit ses visions. Aidée de son secrétaire Volmar, un moine du monastère voisin, elle va transmettre par les mots et les images, grâce à de nombreuses et célèbres illustrations, ce qu’elle capte de l’invisible. Son activité littéraire est encouragée par Bernard de Clairvaux, connu pour avoir largement contribué au rayonnement de l’Ordre cistercien, et par le pape Eugène III qui, lors du synode de Trèves, reconnaît l’authenticité des visions d’Hildegarde.
Le triptyque visionnaire
Pendant trois décennies, Hildegarde de Bingen est traversée par une "tempête visionnaire", à l’origine de trois ouvrages clé de son œuvre.
Le premier, Scivias, est un ouvrage illustré achevé vers 1151. Il décrit 35 visions retraçant l’histoire sainte et les fondements de la foi chrétienne, allant de la création du monde à la fin des temps. Le titre vient de l'expression latine Sci vias Domini : « Connais les voies du Seigneur ».
Le Livre des mérites de la vie, terminé vers 1163, aurait été dicté sous l’impulsion de l’Esprit Saint. Il décrit, à travers six visions successives, l'affrontement des vertus et des vices sous les yeux de Dieu. De manière rhétorique, Hildegarde présente une allégorie du choix, ou non, de se tourner vers Dieu, de choisir entre le bien et le mal. Il s’agit là d’un traité de théologie ascétique et d’éthique chrétienne, destiné à l’humanité tout entière.
Enfin, en 1174, elle achève l’écriture du Livre des œuvres divines, considéré comme son chef-d’œuvre notamment par l’iconographie qui accompagne le texte. Centré sur une théologie de la Création, Hildegarde présente la Trinité (représentée par une forme circulaire [un œuf, trois cercles concentriques] qui symbolise l’idéal de perfection) comme la source créatrice. Au centre de la Création, donc du monde (représenté par le symbole du carré), elle place l’humain. Dans sa conception, l’homme agit comme intermédiaire entre la Trinité divine et la Création, dont il est l’intendant, ce qui implique deux choses : 1) l’homme est créé à l’image du monde, il est donc influencé par son rythme cyclique et ses éléments (les vents, les astres, etc.) ; 2) l’homme dispose d’une responsabilité à l’égard de la Création et du divin. Il doit ainsi veiller à respecter l’harmonie de l’univers, tant sur le plan individuel que cosmique.
Découvrez les visions décryptées d'Hildegarde de Bingen dans le documentaire À la recherche d'Hildegarde von Bingen
Pour voir cette vidéo pour devez activer Javascript et éventuellement utiliser un navigateur web qui supporte la balise video HTML5
Guérir l’âme et le corps
Une anthropologie chrétienne
Les visions d’Hildegarde de Bingen établissent une correspondance entre le macrocosme et le microcosme. Ainsi, à l’image de la Trinité qui est composée du Père, du Fils et du Saint-Esprit, tous les trois formant un tout unifié, l’homme est composé d’un corps, d’une âme et d’un esprit. Il est donc important, pour l’abbesse, de nourrir et de guérir l’ensemble de ses trois parties.
La première naturopathe ?
Redécouverte à partir des années 1980 en Allemagne, l’œuvre d’Hildegarde de Bingen séduit par sa manière de concevoir l’individu comme un être total, unicitaire, et par la médecine globale, holistique (et préventive), qu’elle propose.
L’abbesse, qui a l’habitude de soigner ses moniales grâce aux plantes médicinales de son jardin botanique (et sûrement grâce aussi aux savoirs médicaux traditionnels et populaires) a consigné dans deux ouvrages ses connaissances sur le monde vivant. Ainsi, dans Physique, ou Neuf livres des subtilités des diverses créatures de la nature, elle répertorie les pouvoirs thérapeutiques des plantes, des animaux et des minéraux qu’elle connaît. Enfin, dans Des causes et des soins, elle livre les remèdes contre les maux physiques et psychiques. Parmi ceux-ci, elle insiste sur l’importance d’une alimentation saine et équilibrée, elle propose des recettes de tisane et vante, notamment, les vertus curatives des pierres précieuses.
Les compositions musicales
L’équilibre entre le corps, l’âme et l’esprit repose aussi, selon Hildegarde de Bingen, sur l’art. En effet, pour l’abbesse, la musique guérit l’âme humaine et permet de l’élever, grâce à certaines notes.
Formée au chant et à la musique, la sainte est également compositrice. Inspirée du chant grégorien et des traditions populaires, elle propose une œuvre singulière, composée de chants liturgiques et d’hymnes, destinés à être interprétés pendant les offices. De plus, Hildegarde aime mettre en scène ses compositions, ce qui ne réjouit guère le clergé environnant. Ordo Virtutum est ainsi créé pour être joué par les sœurs bénédictines.
Femme de pouvoir et réformatrice
Hildegarde de Bingen n’est pas qu’une religieuse retirée dans son couvent. C'est aussi une femme de pouvoir ayant œuvré, en son temps, pour l’Église et le message évangélique. Elle entretient ainsi une correspondance avec les grands de son temps, dont l’empereur Frédéric Barberousse, et n’hésite pas à dénoncer les dérives de l’Église, trop riche et trop puissante, auprès des prêtres et du pape Anastase IV. Elle confie à ce dernier ses craintes, pressenties dans des visions, de voir des hérésies nouvelles se déclarer en réaction à l’enrichissement sans limite de l’institution.
Prédication contre les hérésies
En effet, depuis le Xe siècle, un vaste mouvement de réforme traverse l’Église catholique et, plus spécifiquement, l’ordre monastique qui appelle de ses vœux un retour aux sources de la tradition bénédictine, soit à une vie faite de simplicité, de pauvreté, de prière, de labeur (manuel) et de rupture avec le monde. Entre le XIe et le XIIe siècles, de nombreux ordres religieux sont créés, dont l’ordre clunisien et celui cistercien.
Hildegarde de Bingen agit donc comme une femme (étonnamment !) influente de son temps. Elle entame plusieurs voyages de prédication auprès du clergé et du peuple, dans des villes comme Cologne, Mayence, Metz, etc. Elle invite la population à vivre selon l’Évangile, donc à leur rappeler les « voies de Dieu » qui lui sont révélées par vision, et combat l'hérésie cathare, un mouvement opposé à l'Église catholique.
Sainte et Docteure de l’Église
La vie et l’œuvre d’Hildegarde de Bingen sont foisonnantes, riches, surprenantes pour une femme religieuse ayant vécu au Moyen Âge. Oubliée pendant plusieurs siècles, sa contribution au catholicisme a toutefois été réhabilitée et reconnue pas moins de 9 siècles plus tard. En 2012, Hildegarde de Bingen est canonisée et proclamée Docteure de l’Église par Benoît XVI. C'est la quatrième femme à qui l’Église attribue ce titre honorifique. En 2021, le pape François décide de la fêter le 17 septembre.