A l’infini, toujours et sans conditions Mt 18, 22 répond Jésus.
C’est beau. Simple. Et clair !
Pierre aurait pu aussi compléter sa question : comment puis-je pardonner ?
Il y a bien à la fin une invitation à pardonner du fond du cœur Mt 18, 35. Mais y’a quand même mieux comme tuto ou comme notice !
C’est pourtant bien la question : comment pardonner quand une jeunesse a été volée ? Comment pardonner quand l’injustice qu’on a subie s’est passée sous les yeux de tous ? « Le pire, c’est pas la méchanceté des gens, c’est le silence des autres » chante le rappeur Gim’s. Comment pardonner quand sa femme ou son mari a commis « l’impardonnable », en parole ou en actes ? Il y a les agacements du quotidien qui finissent par blesser à la longue. Il y a aussi les blessures qui meurtrissent notre existence au plus secret de nous-mêmes. Et là, pour ces blessures si profondes, comment pardonner ? Il faudrait avoir une misérable mémoire pour que ce soit inné. Pardonner une fois, rien qu’une fois, ce serait déjà pas mal en vrai ! Ce serait même vraiment beaucoup.
Parce-que le pardon coûte. Et il coûte cher. Autant celui qui est donné que celui qui est reçu. Mais « le pardon – dit-on – libère l’offenseur de sa culpabilité et l’offensé de sa haine et de sa rancœur ». En ce sens, pour tous, même s’il coûte, le pardon fait partie d’un chemin de guérison pour cicatriser des blessures trop vives. Le pardon n’efface jamais ni l’offense, ni la culpabilité ou la honte – il faudrait le « retourneur de temps » d’Hermione Granger pour ça ! Le pardon permet simplement de continuer à vivre sans être écrasé et terrassé par le mal commit ou subit. Il permet la paix du cœur, loin des rancunes et des colères Si 27,30. C’est dire toute l’importance qu’il joue dans une vie. Et parfois même, ce pardon est l’œuvre d’une vie, juste pour arriver à vivre debout. S’il y a des patrimoines comme cette chapelle qui sont inscrits aux monuments historiques, le pardon pourrait être un geste inscrit au patrimoine mondial de l’Humanité. S’il faut du temps et du talent pour bâtir une œuvre historique, il faut aussi du temps et de la justice, pour pardonner du fond du cœur. La justice d’abord, le pardon ensuite.
La question redouble alors de pertinence : non pas combien de fois pardonner, mais comment pardonner ? Jésus ne donne pas réponse directe. Mais avec sa parabole, il propose un chemin à l’allure d’une piste escarpée : quand le roi apprend l’intransigeance du serviteur, il le renvoie à sa conscience : ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ? Mt 18, 33. Comme moi-même j’avais eu pitié de toi. Comme moi-même.
Comment pardonner ? Comme lui nous pardonne. C’est véritablement l’écho à cette autre invitation du Christ, sans doute plus connue : aimez-vous les uns les autres comme moi-même je vous ai aimé. Comment aimer ? Comme Lui nous aime. Jésus nous propose donc toujours le même chemin : ce n’est qu’enracinés en Lui que nous pourrons aimer et pardonner. Pour nous, c’est trop souvent impossible. C’est avec Lui que tout devient possible, dans la relation qu’on établit avec lui.
Encore faut-il se savoir ou se découvrir aimable. Encore faut-il, pour les chrétiens, entendre pour soi cette parole de Dieu relatée par le prophète Isaïe : tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et moi je t’aime Is 43, 7.
Encore faut-il s’aimer soi-même ! Encore faut-il s’accepter soi-même, avec ses vices et ses merveilles. « Il est plus facile que l'on croit de se haïr » remarquait Bernanos. Alors oui, encore faut-il s’aimer humblement soi-même !
Encore faut-il avoir fait l’expérience de se pardonner. Encore faut-il avoir fait l’expérience d’être pardonné. Même si on est souvent plus attentif à voire la paille dans l’œil du voisin que la poutre dans le nôtre, même si on voit souvent davantage la faute des autres que la nôtre, encore faut-il, pour les chrétiens, découvrir jusqu’où le Seigneur est tendresse. C’est-à-dire à l’infini, toujours et sans conditions.
Comment pardonner ? Comme Lui nous aime. Comme Lui nous pardonne. Il suffit donc juste, comme aime dire Jacques, un de mes frères prêtres de la Mission de France, il suffit juste de « vivre à la Jésus ». Avec la même disposition du cœur justement. Comme Lui.
Il nous faut donc commencer par être aussi bienveillants que Lui : envers nous-mêmes, envers les autres, envers le monde. Il nous faut donc devenir les veilleurs du beau en nous et au dehors de nous… comme le Christ qui voit le beau éclatant derrière chaque défiguré et chaque offensé. Comme le Christ qui voit le beau caché derrière chaque offensant. Nous deviendrons alors, enracinés ainsi, comme Lui, des bienfaisants. Nous serons alors peut-être des faiseurs de réconciliation. A notre insu. De temps en temps. Pas n’importe comment, c’est assez dit ! Comme Lui.
Au final, on comprend pourquoi cette histoire de pardon est associée au Royaume de Dieu : le pardon construit ce Royaume sans ombre, sans rancune ni colère, fait de liberté et de paix. Et ce Royaume est notre avenir parce qu’il est notre présent.
Pardonner du fond du cœur.
Comme le Christ.
Sans autre « désir que de L’imiter », pour vivre simplement debout, en paix.
Ce n’est pas un ballon de rugby, mais quand même, à nous la balle !
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